Ces pages, ont été écrites en 1989 par Monsieur Louis LAPEYRE grâce à un registre de notaire retrouvé dans la décharge de MONTSERET.
Grâce à son travail de longue haleine, et avec le dépouillement du registre paroissial de 1592 à 1599, j'ai pu compléter certaines informations.
Un voyage dans le temps. Après lecture de ces pages, on ne serait pas surpris lorsque le soleil se couche un soir d'été de croiser au coin d'une rue, le premier consul Barthélemy ESCAICH, le capitaine Jehan FABRE ou les notaires Jehan DUFOUR et Anthoine FOURNES en bas de soie et cape noire.
| La découverte du registre | Dans le courant du mois d'août 1988, à MONSERET, une nouvelle se mis à circuler très rapidement parmi les personnes qui s'intéressent à l'Histoire.
On avait trouvé, dans la décharge de la commune de vieux documents que certaines personnes s'étaient empressées de recueillir parmi les ordures.
Les documents ont été en totalité récupérés par trois ou quatre personnes et on peut espérer qu'ils sont à l'abri de la destruction.
Il y avait aussi par mis les documents récupérés une petite et ancienne malle de voyage contenant divers papiers ainsi qu'un épais registre.
Il s'agit d'un volume de 26x19 cm composé, de six cahiers reliés avec de la fine ficelle, le tout d'une épaisseur de quatre centimètres. Les cahiers sont en papier bouffon de bonne qualité. Une vieille feuille parchemin sert de jaquette et sur son verso est inscrit un acte de vente daté de 158O, écrit, avec une encre devenue rougeâtre de la main même de l'auteur du registre.
Celui-ci écrivait donc sur des mains de papier puis en fin d'année les reliaient avec un ancien parchemin conservé dans l'étude, archivant ainsi les actes.
Il a d'ailleurs pris soin de noter, et de signer, sur la couverture les dates limitent de ces pièces et le relevé des actes principaux.
Tout l'angle en haut et à droite du registre est rongé par les rats et une cinquantaine, des premières pages sont abîmées par un insecte.
Le bas de toutes les feuilles du registre porte des traces plus ou moins importantes d'une substance huileuse.
Le registre contient 218 actes originaux, échelonnés entre le 20 Octobre 1592 et le 28 décembre 1593, tous signés du notaire royal de Fabrezan, Jehan DUFOUR.
Il comporte cinq actes de mariage, trois testaments et un codicille, une quarantaine d'achats, treize échanges, quinze arrentements, une dizaine de quittances pour les droits seigneuriaux, des requêtes, associations, donations, cessions, divisions, beaux à moitié, prix faits, etc. Il y a surtout des "obligations" ou engagement à payer des dettes étalées sur deux ou trois échéances.
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| La lecture du registre | La lecture de ces actes comporte de nombreuses difficultés en dehors du fait que le coin en haut et à droite de tout le registre est détruit. Ils sont écrits en français, hormis quelques mots Occitans.
L'orthographe est fantaisiste, mais aussi incertaine dans la mesure ou le notaire écrit parfois le même mot de façons différentes.
L'absence totale de ponctuation (y compris l'apostrophe) n'est pas compensée par la majuscule au début d'une phrase.
Les majuscules interviennent n'importe où, alors qu'elles sont rares au début d'un nom propre, et d'un graphisme compliqué elles sont rarement lisibles elles-mêmes.
Ce sont les abréviations dans l'ensemble qui rendent la lecture difficile, et si certaines se reproduisent avec régularité, notamment au début des contrats, d'autres ne peuvent être décryptées approximativement qu'avec le contexte.
Notons enfin qu'il n'est jamais employé de chiffre, ni pour les quantités ni pour les dates. Il est vrai que, sans doute pour éviter la crampe de l'écrivain, Jehan DUFOUR en cours d'année date tous les actes de "l'an susdit".
La langue.
Si le français avait remplacé le latin dans les actes officiels depuis déjà une centaine d'années, il était peu parlé dans la région, mais le notaire l'écrivait correctement, avec une certaine richesse de vocabulaire, malgré les formules toutes faites dues à l'enregistrement des actes et le foisonnement des " ledit, lesdits, le susdit. Il est évident que Maître Jehan DUFOUR parlait ordinairement l'Occitan.
Le notaire l'écrivait couramment. Tellement couramment que, par habitude, il en arrive très souvent, dans des actes écrits en français, à utiliser les particularités de l'orthographe occitane.
Il est facile de deviner que la conversation avec ses clients avait lieu en occitan et qu'il traduisait en français au fur et à mesure, comme autrefois on le faisait avec le latin officiel.
Il est même sûr que de nombreux clients de l'étude, y compris les témoins, ont signé des actes écrits dans une langue qu'ils ignoraient.
On retrouve aussi dans ces écrits, l'habitude bien occitane de féminiser les noms propres. On y voit les noms de BOSQUETTE et RESPLANDETTE pour deux veuves dont les pères dans des actes précédents se nommaient BOSC et RESPLANDY.
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| Les personnages | Avant, de passer en revue les personnages Il paraît nécessaire de faire le point sur la situation politique en France, et par conséquent en Languedoc en cette année 1593.
Le royaume de France était bien malade, car n'y avait pas de roi.
Au cours des guerres de religion qui ont duré une vingtaine d'années, Henri III avait été assassiné le 2 août 1589.
Depuis, le cardinal de Bourbon avait été nommé roi par la ligue Catholique, mais ceci n'était resté qu'un vœu pieux.
En France, du Nord au sud, Henri de NAVARRE, chef des protestants, se battait contre les troupes de la Sainte Ligue avec une ardeur d'autant plus multipliée que, d'une part les troupes des Pays-Bas et d'Espagne étaient aux côtés des catholiques, tandis que d'autre part des corps anglais (quatre mille hommes à la bataille d'ARQUES) et des régiments suisses étaient venus donner un coup de main à l'homme au panache blanc.
En cette année 1593, alors que NAVARRE se battait du côté de Rouen, les Etats-Généraux se réunissait le 26 Janvier pour pourvoir à la vacance du trône, sans d'ailleurs y arriver.
Le 27 juillet, Henri abjurait à St. DENIS. Il sera sacré à Chartres, car Reims était tenu par un capitaine des Guises, le 27 février 1594.
En Languedoc, dans cette année cruciale, une sorte de guérilla où le pillage faisait l'essentiel des combats opposait le duc de MONTMORENCY pour le roi de Navarre, au duc de JOYEUSE pour la Ligue des Guises, ce dernier aidé en cela par des régiments espagnols arrivés de Catalogne.
De part et d'autre on faisait d'ailleurs beaucoup d'occupation de terrain, ce qui attirait de nombreux mercenaires venus des pays voisins. Il semble que les compagnies à la tête desquelles se trouvait un capitaine aient eu une certaine autonomie, vivant sur le pays.
Cette année là, il y a deux ans que Jean de Saint MARSAL, capitaine du duc de JOYEUSES s'est installé avec ses arquebusiers dans les ruines du château de MONSERET, et nous verrons que la compagnie de Monsieur de GONOUX occupait Fabrezan avec une certaine vigueur.
Notons enfin que sur des actes du registre datés du 12 avril et du 4 mai, le notaire royal indique les titres du duc de JOYEUSES pair de France, gouverneur et lieutenant général pour le roi en Languedoc alors qu'il n'y aura un roi que le 27 février 1594 et qu'on en manque douloureusement depuis quatre ans.
Il semble, et nous le verrons, que cette longue guerre civile et ces grands événements n'aient pas tellement affecté FABREZAN.
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| La noblesse | Il apparaît dans ces documents que Fabrezan était une seigneurie appartenant à deux co-seigneurs.
D'une part Jehan de DOUTRE, seigneur de LANVALS et, d'autre part, Arnaud de MONTELS, qui vivaient dans la commune. Dans la description des parcelles de terrain on apprend que des fiefs bien délimités appartenaient en propre aux deux coseigneurs.
Quelques terres dépendaient de l'abbé de LAGRASSE, tandis que d'autres semblent curieusement n'appartenir à personne.
Ces dernières sont donc considérées comme faisant partie du domaine royal et dépendant du roi déclaré à cette occasion seigneur de FABREZAN.
Le fait qu'il n'y ait pas de roi n'empêchait pas, de lever des impôts en son nom pendant cet inter-règne de quatre ans.
Dans le voisinage immédiat, un autre seigneur important était celui de CAUMONT.
Dans le château, vivait, la famille d'Isaac de GIRONDE, celui-ci décédé avant l'ouverture du registre, représentée en 1593 par son fils, Jacques de GIRONDE, seigneur de CAUMOND, et ses trois sœurs, Catherine, Marguerite et Madeleine.
Un des co-seigneurs de Fabrezan, Armand de MONTELS, leur oncle, était tuteur des quatre enfants, Jacques, n'ayant que quatorze ans.
Un mot dans le contrat indique que la mère de ces derniers s'était remariée puisque Antoine de FORMENS seigneur de CAUMONT est désigné comme leur "parastre".
Citons encore quelques seigneurs voisins: Bertrand du LAC, seigneur de BOTHENAC, Gaspard du LAC, seigneur de FERRALS en CORBIERE, François de DONNE, seigneur de SALANET, co-seigneur de DURBAN et CAUMONT, et Jehan de BRUNET, seigneur d'AURIAC et procureur général de l'Abbé de LAGRASSE.
Tous ces nobles seigneurs règlent leurs affaires de famille chez le notaire royal, partages, cessions, ventes et achats et semblent ressentir lourdement l'interdiction, spécifiquement française, qui leur était faite de commercer. Il est vrai qu'au besoin ils se servent d'intermédiaires dans des actes où ils se signent que comme témoins.
Les co-seigneurs de Fabrezan font percevoir les tailles, lods et émoluments divers par un important personnage de la Communauté qui apparaît très souvent dans les actes: Jehan FABRE est procureur et instrumenteur des droits seigneuriaux de FABREZAN et de VILLEROUGE la PANOUSE. A ce titre il fait enregistrer des quittances de droits, de lods pour le compte des seigneurs locaux et même pour le roi.
Il se comporte également en gestionnaire. Vendant, arrentant, achetant au nom de ceux-ci, sans compter les poursuites pour non-paiement de droits qui font partie d'un office qui semble avoir laissé de nombreux dépôts dans son escarcelle.
Signalons enfin la présence dans ces actes, de ce qu'on pourrait appeler : la noblesse d'épée, dont le plus présent est Barthélemy de RUGIN, homme d'armes de la compagnie de GONOUX, alors que Jehan de RUGIN est gendarme à la compagnie de JOYEUSE.
Jacques de BRIS, dont le père est chevauchier du Roi à MOUX, n'est cité qu'une fois, mais sur plusieurs actes du mois de mai apparaît le nom de noble Francisque (Francesco ?) GORMITTE, italien, demeurant à CAUMONT, signant à côté du seigneur de CAUMONT Jacques de GIRONDE et certainement hébergé au château en tant que militaire. Ces petits nobles empruntent parfois de l'argent comme ces cadets n'ayant que la ressource des armes pour faire fortune.
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| Le clergé | D'après quelques contrats, il est évident que les prêtres avaient une grande importance dans la vie du pays. Dans la mesure où ils exerçaient des droits et agissaient tant comme les nobles le faisaient avec leurs droits seigneuriaux.
Le prêtre vicaire de Fabrezan était Pierre ANDREE, à la signature calligraphiée et qui, au mois de juin deviendra prêtre de VIGNEVIEILLE.
Remplacé par Pierre DECAIBRE comme desservant, et qui baptise son premier enfant Anthoine BRESOL, fils de François chirurgie le 27 juin. Ce n'est qu'au mois de novembre de la même année que Jehan THURIES deviendra curé de Fabrezan.
Mais ces questions de "retories" sont compliquées par le fait que les recteurs étaient propriétaires des droits et aumônes de leurs églises.
Ceux-ci pouvaient donc se vendre et même se louer (s'arrenter) moyennant finance, ce qui était d'un rapport fixe et non plus aléatoire en ce qui concerne les dons, aumônes et messes.
C'est ainsi qu'un acte du 27 janvier donne pour trois années les "fruits" du rectorat de VIGNEVIEILLE, possédés par Pierre ANDREE, recteur de VIGNEVIEILLE et FABREZAN à Guillaume MAURY, prêtre de BOUISSE, qui devient ainsi recteur de VIGNEVIEILLE.
Pour la rente des fruits de cette rectorie il est versé la somme de trente-trois écus, vingt sous chaque année, payable la moitié à la Toussaint, l'autre moitié à Pâques.
Les témoins de cet arrentement étaient les recteurs de VILLEROUGE-TERMENES et un prêtre de St.YBAR (09) desservant FABREZAN.
Le 26 juin, un autre arrentement est encore plus explicite et contient des détails pittoresques.
C'est Pierre RAYNAUD : Chanoine de l'église sainte métropolitaine de St.Just de NARBONNE, recteur de la St. LAURENT de la CABRERISSE : qui arrente pour une année complète les "droits, profits, subsides et émoluments" que le dit recteur prend annuellement à trois habitants de FABREZAN : ANVAL, AMIEL et COUSTURE.
Ceux-ci devront verser par an la somme de cent écus et deux charges huile, pour moitié à Toussaint et à Pâques.
En outre, ils devront payer au prêtre qui fera le "suisse" vingt custiers de blé dix-huit charges de bon vin, cinq migiers d'huile et trente écus.
Ils devront de plus donner la vaisselle vinaire audit prêtre pour tenir les dix-huit charges de vin. Le tout versé à des époques précises (fête de la Madeleine, récolte du vin celle de l'huile et fête de la Toussaint)
Sont témoins de l'arrentement : Les prêtres de VIGNVIEILLE, de VILLEROUGE et de FABREZAN.
Le même jour, le même chanoine RAYNAUD arrente la retorie de TRABIAC (?) à : Octarien CHAISSY de LAGRASSE, pour vingt écus pendant trois ans etc.
Dans le cas de Pierre ANDREE on peut remarquer, qu'au mois de juin étant prêtre de VIGNEVIEILLE et de FABREZAN : il a du vendre ou louer ses droits sur ce rectorat à son successeur à FABREZAN soit par un acte antérieur au registre, soit chez l'autre notaire royal de Fabrezan, Antoine FOURNIER, ou ailleurs. Or, il a loué la retorie de VIGNEVIEILLE le 27 janvier.
A-t-il pris sa retraite avec de bonnes rentes ?
C'est à peu près sûr, mais on ne le saura jamais exactement.
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| Notables et marchands | Parmi les notables de Fabrezan vient en tête ce Jehan FABRE dont nous avons parlé et qui est le plus souvent mentionné avec le titre : de lieutenant de la juridiction de Fabrezan.
Comme on pouvait s'y attendre il semble riche et on le voit : propriétaire, échanger des vignes, des jardins et des olivettes, vendre et acheter pour son compte, encaisser des dettes pour les tiers, prêter de l'argent et même vendre "un âne poil noir et son bast"
Sa signature calligraphiée se trouve au bas de testaments, donations et autres actes de la vie courante.
La commune de Fabrezan était gérée par des Consuls se réunissant en un Conseil représentant la population, à propos de divers litiges suivis d'accords enregistrés. Nous voyons apparaître le nom de quatre d'entre eux, un cinquième apparaît sur les registres paroissiaux : Pierre JOVE.. Il s'agit d'abord de celui qui est qualifié de premier consul Barthélemy ESCAICH, un marchand intéressé surtout par l'huile, la laine et le blé.
Le second consul : est Jehan ESCAICH sur lequel, on ne peut rassembler que peu de renseignements car nous trouvons dans les textes trois, et peut-être quatre, Jehan ESCAICH qui semblent appartenir à la même famille sans que nous puissions parvenir à des filiations précises.
En effet sont mentionnés : Un Jehan ESCAICH capitaine de la compagnie du duc de Joyeuse. Un autre est fils de Benoît, le troisième fils de Martial, et une dame honnête Jeanne BERTHOMIEU qui est veuve d'un Jehan ESCACH alors qu'un homonyme continue à signer le registre.
Deux autres consuls, Raimond GUY et Pierre LAFON, sont cités notamment à propos de protestations de la population se plaignant des exactions des soldats.
Nous noterons au passage, la présence d'un bailli, Pierre RAYNAUD, à FONCOUVERTE qui semble s'intéresser spécialement au commerce de laine, un bailli à CAMPLONG et un autre à COUSTOUGE. Le bailli était un officier de justice pour le Roi.
En dehors des deux notaires de Fabrezan, à l'occasion de ventes diverses le registre indique le nom de ceux de BOUTENAC, de LAGRASSE, CONILHAC et NARBONNE.
Bien sûr nous relevons dans les actes le nom de marchands de la région, mais Antoine BRUGIER habite Fabrezan ou il trafique d'huile et de couvertures. On peut remarquer qu'un autre des marchands de la petite communauté était spécialisé :
Antoine AMIEL, qui signe avec deux A majuscules, et qui fait enregistrer quatre ventes. Il s'agit toujours d'ânes et d'un cheval, ce qui laisse supposer qu'il ne s'intéressait qu'à ce trafic.
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| Quelques notables et marchands en 1593 | Notaires : Anthoine FORNES, époux de Marguerite DELLABAT. Jehan DUFOUR, époux de Marguerite BOUYERE, au moins cinq enfants, quatre nés entre 1592 et 1599 et une fille Jeanne plus âgée puisqu'elle est en 1599 la marraine de Jean MIQUEL fils d'Antoine..
Lieutenant de la juridiction de FABRREZAN : Jehan FABRE, marié à Lucie MERQUE. Aymeric ANDUREAU : Capitaine.
Les consuls: Barthélemy ESCAICH, premier consul et marchand, époux de Anne De PASTORIS. Au minimum trois enfants, dont Flourette, baptisée le 26 avril.
Jehan ESCAICH, époux de Jehanne POUCHOLONNE au moins quatre enfants.
Pierre JOVE, époux de Claire MAURINE. Le couple à deux enfants minimum dont un fils Guilhem qui naît cette même année.
Raymond GUI, au moins trois enfants.
Pierre LAFON, sans autres renseignements.
Chirurgien : François BRESOL, dont une fille Anthonie, est baptisé le 27 juin.
Les marchands : Antoine AMIEL, époux de Claire ANOUALLE.
Antoine BRINGIE, il décède le 4 avril 1593 son testament est expliqué plus loin.
Guillaume ESCAICH, époux de Hélène FOURNEZE, le couple à minimum quatre enfants.
Barthélemy ESCAICH, voir dans les consuls. | Retour |
| Les artisans | Nous remarquons que Jehan DUFOUR fait toujours précéder le nom d'un artisan, quel qu'il soit, du mot "Maître", alors qu'il n'indique jamais ce titre devant un notaire ou un expert. Preuve, s'il en était besoin, d'une grande considération pour l'artisanat.
La petite commune comptait de nombreux artisans: Quatre maçons, un menuisier, un charpentier, un serrurier, mais aussi cinq cordonniers, un tailleur, quatre couturiers, un chaudronnier qualifié dans le même texte de payrolier (de payrol = chaudron), un meunier, un tanneur de cuir. Pour les bêtes nous trouvons trois maréchaux, un bastier (de bast = bât = bourrelier) un carabier (chevrier). Un charretier y voisine, un boucher qui par le fait, qu'il achète deux ânesses (poil noir) pourrait indiquer qu'on ne mangeait pas que de la viande de mouton.. Car, contrairement à tous les autres elles n'ont pas été vendues avec leur bast !
La vente d'une forge, en bloc avec ses installations nous donne une brève énumération d'outils que nous n'avons pu identifier.
Un "prix-fait" nous précise tous les détails du travail commandé à un maçon consistant à rehausser : De cinq pans une muraille aux contours complexes avec l'installation de deux fenestrons en pierre de taille.
La location pour trois ans, à un meunier d'un moulin à blé avec une meule "bonne et suffisante" La commande à un menuisier de Trèbes, d'un bateau, à livrer dans la rivière de l'Orbieu, et dont les dimensions et les matériaux sont précisés.
Tout cela laisse deviner une vie intense qui ne passe pas par les registres des deux notaires de Fabrezan.
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| Quelques artisans en 1593 | Les bouchers : FALIBER, dont la femme Oler PONAIROL est inhumée le 8 juillet 1594.
MILHET
Jehan RIEUCOURT, sa femme décède le 30 4 1594.
Charpentier : Antoine ANDRIEU, époux de Marthe THOMASSE son fils François est baptisé le 7 janvier. Il décède comme sa mère en 1595.
Les cordonniers : Bernard ANDRIEU, époux de Rixen BORNEFOSSE.
André FERRIER.
Jehan TARDIEU, dont un fils Raymond, qui est baptisé le 27 octobre.
Les couturiers : Jacques DORE, époux de Françoise BORYES, deux enfants connus.
Jean SABATIER.
Les TISSEURS : Antoine SICRET, trois enfants connus.
Pierre TIBOS, époux de Catherine TARRANTE, quatre enfants connus.
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| L'occupation militaire | Bien que ce ne soit pas spécialement dans les registres de notaires que l'on trouve des renseignements à ce sujet, celui-ci donne, à travers des requêtes enregistrées, quelques informations sur l'influence d'une guerre qui durait depuis vingt ans.
Des troupes mercenaires occupaient la région de Fabrezan. Notamment la compagnie de M de GONOUX qui devait probablement camper hors les murs. Alors que leurs capitaines, comme Jacques de BRIS, dont le père était chevauchier du roi à MOUX et Noir ANDURAN vivaient dans le bourg.
Quelques autres officiers et gens d'armes étaient directement rattachés à la compagnie d'ordonnance du duc de JOYEUSE et habitaient Fabrezan, comme les capitaines ESCAICH, ORLIAC et GANDILHOU, ou les deux de RUGIN.
Tous ces militaires continuaient à vendre, acheter, échanger, emprunter et pour cela passaient chez le notaire leurs transactions et accords comme des civils ordinaires.
Les rues étroites et pavées de la commune devaient retentir souvent de bruits de bottes, de cliquetis d'épées et des sabots des chevaux.
Il est facile d'évoquer ces barbus au pourpoint serré, à la culotte bouffante sur de longues bottes, aux fraises tuyautées au-dessus des cuirasses, la toque empanachée, que nous montrent les portraits de l'époque d'Henri IV.
La compagnie de M. de GONOUX, comme toutes les autres, vivait des réquisitions, c'est-à-dire sur le pays, et les consuls étaient chargés d'appliquer les ordres à ce sujet venus du duc de JOYEUSE.
Eh ! Bien entendu c'est Jehan FABRE, en tant que lieutenant, qui était chargé de prélèvements qu'il faisait quelquefois avec une certaine désinvolture, d'après un acte du mois de mai.
Comme toujours certains soldats outrepassaient les ordres, et le registre contient des plaintes ou tout au moins des réclamations de remboursement, de certains habitants auprès des Consuls.
Il semble d'après une de ces requêtes que la noblesse et le clergé locaux n'étaient pas exempts de réquisitions, puisque deux de leurs représentants réclament le remboursement de blé saisi.
Un bourrelier de Fabrezan proteste parce qu'on lui a saisi une charge d'huile, alors que sa vieillesse l'exonère des réquisitions ordonnées par le Duc. D'autres réclament le remboursement de blé destiné à l'entretien des lansquenets et ne sont pas d'accord sur le prix proposé.
D'autres enfin se plaignent qu'un capitaine de LEZIGNAN et ses soldats ont saisi, à FABREZAN et FERRALS, du bétail avec lequel les plaignants étaient en train de labourer "sous prétexte de quelque commandement du duc de Joyeuse"
Malgré ces quelques incidents, tout semble se passer dans les normes, à une époque où les Consuls de Narbonne sont assiégés eux-même de plaintes semblables.
En marge, de cette situation de guerre, une requête malheureusement mutilée par le temps, nous signale qu'un prisonnier s'étant évadé de MONTLAUR s'est réfugié dans les bois de COUSTOUGES.
Une poursuite ayant été organisée, l'un des poursuivants Jehan BONNE "qui s'estait voulu advancer plus advant que les autres" a été tué.
A la suite de cet accident sa veuve s'est plainte au bailli de COUSTOUGES pour obtenir une aide en raison de la perte de son mari "mort à la rescousse " | Retour |
| La vie économique | Le terroir.
Il est évident que le paysage autour du bourg fortifié de Fabrezan était bien différent de celui d'aujourd'hui.
Il indiquait les trois principales productions agricoles du pays le blé, l'huile d'olive et la laine, donc des champs des oliveraies et des terrains incultes pour l'élevage.
Construit au confluent de l'Orbieu et d'une petite rivière, la Fonentrouze, le village ceint de ses murs comprenaient déjà une autre ceinture. Celle de faubourgs dans lesquels s'inscrivait une mosaïque de petits jardins dont un acte nous donne les principales productions : l'ail, les choux, les oignons et les pastèques.
Quelques arbres fruitiers sont également signalés, mais sans précision.
Plus loin des champs produisaient non seulement du blé, mais aussi de l'avoine, du seigle et de l'orge; Puis de petits terrains plantés d'oliviers et quelques vignes. Dans les parties plus éloignées s'étendaient des terres incultes, des garrigues, des petits bois.
Ce paysage dut rester le même dans toute cette région Corbiérole avant l'arrivée du phylloxera qui déclenchera la monoculture à la fin du XIXème siècle.
Le terroir, était partagé entre divers seigneurs et même co-seigneurs dont nous avons parlé, interdisant la notion de territoire communal, mais on peut remarquer que VILLEROUGE la PANOUSE (celle où il y a du pain) fait partie intégrante, comme de nos jours, du bourg de Fabrezan. (Il est intéressant de noter qu'en 1596 le terme de VILLEROUGE la CREMADE apparaît sur le registre paroissial avec la naissance de Claire DOUTRE, " 16 juin 1596 baptisée à Villerouge la Crémade ")
On trouve les deux noms ensemble sur des titres et fonctions administratives. Le Château de VILLEROUGE est signalé à l'occasion d'un confront, mais aucun patronyme n'indique s'il était habité.
En observant la description des champs et des terrains divers négociés, on est frappé par le fait que leur surface en moyenne de quatre ou cinq sestérés, les deux plus grandes les deux plus grandes parcelles signalées étant de dix. Nous n'avons pas ailleurs aucun multiple ou sous-multiple de cette mesure.
Par le fait que les "olivettes" les plus "remplies" contiennent de dix-neuf à vingt oliviers par sestéré, on peut raisonnablement en conclure que cette mesure valait à peu près quarante ares. C'est dire que toutes ces parcelles étaient petites.
D'ailleurs les oliveraies ne se présentent pas comme des plantations au sens moderne du mot, mais comme des terrains sur lesquels sont plantés quelques oliviers, souvent comptés d'ailleurs dans les actes. Le terme même d'Olivette comporte un diminutif qui semble tenir compte de cela.
Ce morcellement est probablement du à la coutume des partages égaux entre les héritiers, contrairement au droit du Nord qui suivait celui du droit d'aînesse.
C'est ainsi que dans le registre, trois sœurs partagent en trois parties égales de très modestes pièces de terre dont la surface n'est même pas indiquée.
Toutefois ces terrains extrêmement morcelés devaient présenter à l'œil une certaine unité puisque dans les transactions il n'est le plus souvent question que de blé, d'huile et de laine.
µµPoids et mesures.µµ
En dehors de la sestéré, mesure agraire dont nous venons de parler, nous relevons comme unités de mesure le custier et la charge pour le volume, le quintal pour le poids et la canne pour la longueur.
Le custier est employé exclusivement pour les céréales: blé, avoine, seigle, orge. D'une contenance différente pratiquement dans chaque agglomération, les actes portent mesure de FABREZAN, LIMOUX MOUX, FONTCOUVERTE, CAMPLONG, ESCALES, St. Laurent.
Il est évident que ces mesures se réfèrent à un étalon.
Celui-ci ne peut-être que ces pierres creusées dont un côté porte une ouverture pouvant être fermée par une plaque de métal, que l'on trouve encore conservées sous les anciennes halles ou places de marché.
Les échanges avec l'extérieur étant peu nombreux, ces mesures suffisaient pour les besoins de la population, même celle de petits villages.
Tous ces custiers devaient avoir une capacité voisine. Les étalons de pierre étant surélevés, on pouvait remplir directement des sacs, dès que la cavité était pleine en ouvrant la petite porte sur le côté. Un custier devait donc correspondre à un sac de céréale et chacun de ces sacs représentaient la moitié de la charge moyenne d'un âne.
L'huile et le vin se mesuraient en charges et demi charges, et nous trouvons là aussi la précision de "mesure de FABREZAN, de LIMOUX, St. LAURENT, FONTCOUVERTE".
Là aussi on peut essayer de trouver une explication à cette variété qui n'est plus due, comme trois ou quatre siècles auparavant, aux droits des seigneurs faisant payer leur pesage.
Dans le registre il est vendu une quantité relativement importante d'ânes et quelques chevaux.
Dans ces transactions le prix comprend toujours le bât de l'animal, sauf le cas de l'achat par un boucher. On peut penser que les transports de marchandises solides ou liquides se faisaient essentiellement à dos d'ânes ou de chevaux.
Une charge, peut donc être ce qu'un âne peut porter.
Pour le transport de liquides, il est évident que des récipients étaient nécessaires. En bois naturellement, ils étaient fabriqués sur place par des artisans qui s'efforçaient de leur donner la même contenance. De là la précision de la mesure suivant les villages.
Le migier et le demi-migier sont rarement employés mais uniquement pour une quantité d'huile.
Il est possible, qu'il s'agisse d'une mesure extérieure à la région. Bien qu'employée à l'occasion d'un bail à FABREZAN où l'on parle "d'une charge de bon vin et demi migier d'huile".
Notons toutefois que ce nom peut provenir du mot occitan "miege" qui signifie moitié, demi.
A l'occasion de constructions nous trouvons deux mesures de longueur: La canne et le pan.
Ce dernier devait évidemment faire la longueur délimitée par une main écartée, soit un peu plus de vingt centimètres, mais la canne est plus difficile à évaluer.
Signalons toutefois la commande faite à un menuisier d'un bateau faisant cinq cannes de long et une canne de large. La canne pouvait donc mesurer entre cent et cent vingt centimètres.
L'unité de masse est le quintal, et nous trouvons parfois "…et demi". C'est la mesure employée pour la laine. Ce quintal est divisé en livres puisque nous trouvons le poids de deux quintaux septante-trois livres qui donne un ordre de grandeur sur leur rapport entre eux.
Mais en dehors de ce cas la laine est négocié en quintaux, ronds si nous pouvons dire, ce qui nous ramène au transport de cette laine. En effet la "charge" de laine devait correspondre à un poids arrondi.
On peut dire à cette occasion que, en ce qui concerne la laine, son poids pour celui qui la porte a plus d'importance que son volume
Un achat de chaux est également fait au quintal.
Notons enfin que si l'étalon des divers villages est précisé pour la charge et le custier, il ne l'est jamais pour la sestéré, le quintal ou la canne qui étaient donc communs à toute la région.
Peut-être pourrait-on classer à la fin de cette nomenclature des poids et mesures une autre particularité qui devait être régionale : l'orientation.
Comme le cadastre n'existait pas encore, les notaires précisaient les parcelles de terrain, sur les actes par : les "confronts" c'est à dire la désignation par le nom de leur propriétaire et leur situation par rapport 'à la parcelle désignée, des terrains limitrophes. L'aquilon désignait le nord, midi désignait le sud, Cers l'ouest et Autan l'est. Or il s'agit pour ces deux derniers de vents locaux réguliers et dominants.
Nous avons trouvé dans des actes postérieurs le mot Autan, utilisé encore de nos jours dans la région toulousaine remplacé par le mot Marin encore plus précis.
On retrouve là les habitudes paysannes faisant référence à la régularité des deux vents principaux de cette région des Corbières.
La Révolution, changeant les dénominations elles n'arriveront que très lentement à pénétrer dans nos habitudes puisqu'un acte notarié à THEZAN, au sujet d'un jardin de MONTSERET, indique en 1893 les confronts de Cers, marin, nord et midi, en même temps d'ailleurs que le numéro de la section du plan cadastral.
De nos jours les météorologues nationaux appellent Tramontane un vent qui s'appelle Cers depuis l'Antiquité, et ne parlent jamais de la véritable Tramontane (à travers les monts) qui est catalane et souffle du sud !
La laine.
Il ressort très nettement du registre que la laine, l'huile et le blé sont alors à la base de toute l'économie du pays, puisque ces trois produits servent en permanence à l'occasion de ventes, d'emprunts, de commerce avec des marchands étrangers, presque à l'exclusion d'autres marchandises.
D'ailleurs et nous le verrons plus loin, ces produits finissent par remplacer pratiquement la monnaie.
La production de la laine est une très vieille tradition puisque le nom de Corbière lui-même vient de Kor montagne et Biera brebis, bergerie.
Elle indique que des troupeaux broutent dans des terres incultes et, à part quelques forêts, que déjà de nombreuses garrigues témoignent d'un déboisement largement entamé dans la vallée de l'Orbieu.
Trois contrats donnent une idée des troupeaux: l'un de cent quarante "bestes à layne", un autre de quatre-vingt-sept et le troisième de vingt-trois.
Petits troupeaux, certes, mais probablement nombreux.
Pour cet élevage l'on pratique ce que le notaire appelle "une gazaille".
Il s'agit de confier moutons et chèvres à un berger ou carabier (de carabe = chèvre) et de partager le revenu du troupeau en nature, moyennant la moitié de la laine et la moitié des agneaux.
Les contrats fixent les conditions en ce qui concerne la date et la durée du contrat, les pertes par maladie, etc.. Une autre gazaille est faite pour soixante chèvres, tandis qu'une dernière concerne deux ânesses contre deux custiers de blé par an.
On peut penser que ces gazailles notariées concernaient des troupeaux considérés comme importants pour un seul propriétaire et qu'en définitive de nombreux habitants de FABREZAN ne possédaient qu'une dizaine de moutons, les soignaient et les faisaient garder par des bergers.
Notons au passage quelques curiosités comme la récupération des "reliques de peaux" par les propriétaires, la désignation de brebis de deux laines et d'autres de trois laines (probablement le nombre de fois qu'elles avaient été tondues) enfin le fait qu'il y avait diverses qualités de laine, ou plutôt divers stades de traitement puisqu'il s'agit parfois de laine blanche, d'autres fois de laine serge.
La mention "la toison du bestail se fera aux dépens dudit carabier" rappelle toute une activité évidemment saisonnière de tondeurs de moutons, et nous avons signalé un tanneur de cuir dans le village.
Dans un acte de bail à moitié, nous relevons cette condition "le bestial devra estre marqué de la marque dudit seigneur".
L'huile.
Les oliviers s'ils sont nombreux et récoltés ne semblent pas faire l'objet d'une culture spéciale.
On trouve dans les actes où ils sont comptés des chiffres plus que modestes une dizaine en moyenne sur une ou deux sestérés. Nous trouvons même la mention: tant "d'oliviers ou broutiers" à plusieurs reprises.
Ce terme de broutier pourrait indiquer des oliviers non taillés et dont les rejets peuvent être broutés par des chèvres ou des moutons.
Dans les contrats de bail à moitié, qui sont très précis, quant au travail des céréales, de la vigne et des jardins. Aucune indication n'est donnée au sujet des oliviers à part peut-être dans un cas de labourage.
S'il est fait mention de moulins à blé dont l'un est loué par un meunier de DOUZENS à un confrère de FABREZAN, jamais les moulins à huile n'apparaissent sur les actes.
On peut penser qu'il existait à FABREZAN deux ou trois de ces moulins, mais que les co-seigneurs en gardaient l'exclusivité comme se fut le cas pour les moulins à blé un ou deux siècles plutôt. Mais rien n'est indiqué à ce sujet.
Cependant un "arrentement" du seigneur de CAUMONT : précise que le blé de la rente devra lui être fourni à la fête de la Madeleine, le vin à la vendange et l'huile "au moulin" sans autre précision.
L'huile n'est jamais qualifiée que d'olive et sa production par conséquent en est uniforme.
Figurant régulièrement dans les rentes avec les charges de vin, on devait en faire sur place une large consommation.
Toutefois les marchands s'intéressent beaucoup aux charges d'huile, presque autant qu'aux custiers de blé. Ils sont de FABREZAN mais aussi d'ESCALES, de BEZIERS et de LIMOUX.
Le blé.
Tous les petits champs réservés au blé et à quelques céréales secondaires sont travaillées avec des paires de bœufs ou de vaches (dans un contrat avec deux ânesses), et le registre donne quelques précisions sur un travail qui était pratiquement le même jusqu'au début du siècle dernier, avant le machinisme agricole: labourage, battage, transport avec les charrettes, etc.
Bien entendu plusieurs moulins à blé se trouvaient sur le territoire et il semble que l'un d'eux fonctionnait avec l'eau de l'Orbieu.
Les transactions en ce qui concerne ces champs et les "olivettes" se faisaient de quatre manières différentes: La vente simple, l'arrentement qui correspond à notre fermage, le bail à moitié (notre métayage) mais surtout les échanges qui sont nombreux.
Il est remarquable qu'en ce qui concerne les trois derniers cas, auxquels il faut ajouter les gazailles, l'argent, la monnaie, n'intervient que dans une très faible proportion et même quelquefois pas du tout.
Il est évident que tous ces paiements en nature, d'ailleurs presque toujours uniquement avec les trois produits principaux (blé, laine, huile) sont la marque d'une économie basée sur une circulation minimale de la monnaie.
Les échanges, aussi nombreux que les fermages, permettaient une sorte de remembrement ou d'agrandissement d'une propriété en échangeant de petites parcelles cultivées contre de plus grandes en jachère. Ceci sans bourse délier, sauf en cas de plus-value constatée après expertise.
Ce manque d'argent ne semble pas la conséquence d'une réelle pauvreté malgré la guerre civile sporadique qui sévit depuis vingt ans.
Il s'agit plutôt d'une manière de vivre entre petits gens donnant plus d'importance à des biens matériels qu'à leur valeur estimée en écus.
L'entre aide par ailleurs devait supprimer l'essentiel des frais d'exploitation et resserrait davantage le tissus social, à tel point que des villages entiers vivaient pratiquement en autarcie puisque même les poids et mesures étaient particuliers à chaque village.
Une charte de labourage ne mentionne que les trois produits de base, blé, huile, laine, comme s'il s'agissait d'une monnaie.
Deux conséquences de cette façon de vivre "économique" ressortent du registre.
D'abord, les mercenaires étrangers ne produisant rien ne pouvaient que payer en monnaie, et le plus souvent la leur.
C'est au point que la monnaie étrangère finit par avoir cours, et les habitants de FABREZAN se débarrassent de celle-ci chez le notaire, où l'on voit couramment des versements faits en réals espagnols ou pistoles italiennes mélangés à des écus et des sols français.
Par ailleurs les remboursements d'emprunts à terme sont échelonnés suivant des périodes qui correspondent à des récoltes.
Il ne s'agit jamais de dates définies en jours et en mois, mais de fêtes du calendrier. On paie, on échange, on verse les rentes à la fête de Saint Jean-Baptiste, Saint Michel, Sainte-Croix, Noël, Toussaint, Pâques et Notre Dame d'août, mais le plus souvent, dans une énorme majorité des cas il s'agit de la "fête de la Magdeleine"
A cette date, le 22 juillet, beaucoup d'écus changent de bourse.
Cette habitude de dater par le saint du jour a perduré dans les dictons populaires, notamment agricoles et météorologiques. Mais cette fête de la Madeleine revient avec trop d'insistance pour qu'elle ne corresponde pas, à FABREZAN à une date spéciale.
Ceci d'autant plus que le mot sainte a disparu à l'usage. On peut penser à une fête patronale mais aussi, et nous penchons pour cette hypothèse, à un marché, une sorte de foire annuelle qui se tenait dans le bourg à cette date, et qui était l'occasion de rencontres plus faciles entre prêteurs et débiteurs, au cours d'une sorte de rendez-vous général et annuel.
D'ailleurs cette date du 22 juillet paraît propice pour l'écoulement des récoltes en même temps qu'une quasi-garantie de beau temps.
Autres productions.
D'autres céréales que le blé sont largement cultivées et sont souvent citées: l'avoine, l'orge, la pomelle, le seigle.
Mais après les trois produits-clé, il semble que la vigne tient une place assez importante pour suffire à la consommation locale. D'une part parce que les charges de vin sont toujours contenues dans les "arrentements " et d'autre part parce que pour les métayages les vignes sont relativement présentes. Dans les baux à moitié on précise le travail que doit faire le preneur dans les vignes: "Le dit preneur sera tenu de pouder, fouyr, somiser la vigne..." c'est-à-dire tailler, dé chausser et faire les passages.
Le terme de mahol qui désigne en occitan une jeune vigne est quelque fois employé.
Le labourage se faisait naturellement avec vaches, bœufs et ânes.
Bien que leur surface soit tellement modeste qu'elle n'est pas le plus souvent précisée, les jardins sont nombreux notamment dans les faubourgs.
La location d'un jardin de FONTCOUVERTE, à un jardinier de La REDORTE pour une durée de cinq ans nous donne beaucoup de précisions sur ces jardins.
On y trouve des arbres fruitiers, des plantations et hortalises (légumes)
Les principaux de ces légumes sont cités: Ail, choux, oignons, pastèques... et autres.
Il sera d'ailleurs donné audit bâilleur "un seau de légumes" chaque jour pendant la saison.
Les fruits sont répartis par moitié. On remarquera que la tomate et l'aubergine sont encore inconnues.
Un autre acte fait allusion à une récolte inattendue. Il est interdit au preneur de chasser, et de pêcher, mais aussi de cueillir " les pignons qui se feront aux terroirs et bois du dit-seigneur de CAUMONT"
On peut en conclure que le pin parasol était déjà répandu dans la région, et que ses graines étaient déjà appréciées et sinon récoltées, tout au moins recueillies à l'occasion.
Enfin le détail de ces contrats nous signale des porcs, de la volaille, mais surtout la présence de chapons avec les galines (poules)
La production très particulière de chapons serait elle donc antérieure au XVIe siècle !
Les prix.
Il nous a paru intéressant de comparer les prix qui se pratiquaient en cette année 1593.
Les rapports entre eux semblent en effet assez différents des rapports actuels et peuvent donner une idée d'un produit par rapport à un autre, ou d'estimations faites selon des facteurs qui ne sont plus les mêmes de nos jours.
Une charge de vin vaut un écu 20 sols, un quintal de laine de 5 à 8 écus et une charge d'huile de 12 à 20 écus.
On voit tout de suite que la vraie richesse du pays était l'huile d'olive dont le prix devait être justifié par une plus forte demande.
Un âne avec son bât valait de 9 à 10 écus tandis qu'un cheval avec son bât en valait plus de 16.
D'autre part un champ de trois sestères vaut 14 écus, alors qu'une oliveraie de même surface en vaut 10, ce qui laisse penser que la récolte de ces oliviers n'était pas très abondante par arbre.
Enfin, une petite maison avec un étage est vendue cent écus, une forge 33 écus, alors qu'une étable, à l'intérieur des remparts est louée l écu par an.
Ces prix bien entendus ne sont pas fixes et varient selon la qualité des produits, des terrains ou des bâtiments et on ne saurait trop extrapoler.
Mais il est tout de même curieux de penser qu'avec cinq charges d'huile, soit environ deux cent cinquante litres, on pouvait acheter une maison et qu'avec le prix d'un âne on pouvait avoir une oliveraie de trois sestérés, soit environ cent vingt ares !
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| La vie sociale | Le bourg de Fabrezan a été construit selon un plan bien précis, et par conséquent d'un seul jet à une époque antérieure à 1593.
Ce plan n'a certainement pas la régularité des bourgs bâtis par l'occupation française à la fin du XIIIème siècle, mais témoigne d'une volonté d'organisation défensive.
L'enceinte dessine vaguement la forme d'un cœur dont les deux tiers du pourtour sont défendus par des fossés naturels constitués par le confluent de l'Orbieu et de la rivière Fonentrouze.
A l'ouest, à la pointe du cœur, le château fortifié défend la partie la plus accessible. A l'opposé, à l'est se trouve l'église, et une rue transversale toute droite relie le château à l'église. Du nord au sud une autre rue joint deux portes, coupant à angle droit la rue transversale à la manière des camps romains.
Quatre portes sont indiquées sur le registre: au nord le portal nau et celui de la Trinité; Au sud le portal d'avail et celui la Sainte-Famille.
Ce dernier devait d'ailleurs être plutôt une poterne puisque d'autres sources indiquent qu'on l'appela plus tard "la porteto" (la petite porte) et qu'une impasse qui y donne s'appelle encore "nego saumo" (endroit où l'on noie les mules)
Aujourd'hui c'est le passage de la Marianne.
L'énoncé des parcelles indique que le pont de l'hôpital prolongeait le Portail d'Avail au-dessus de l'Orbieu.
Cet hôpital formait l'angle ouest du portal. Ce grand bâtiment existe toujours, et une grille de fer forgé au-dessus de la porte d'entrée est constituée par quatre flèches pointées vers quatre motifs centraux en forme de croix, réemploi probable datant de cette époque.
Une place est indiquée: maison "tenant la place, une estable près la place, des ventes criées "en la place publique" etc. . .
Cette place ressort nettement du plan actuel du bourg, il s'agit de la place rectangulaire des marronniers. Cet endroit, couvert de bâtiments dans les siècles suivants a été à présent dégagé
De forme régulière, et c'est le seul îlot qui le soit, cette place se trouve à peu près au centre, au croisement des deux axes principaux et devant l'église
Le bourg a déjà éclaté au-delà de l'enceinte en faux-bourgs.
Le registre en mentionne trois distincts: Le faubourg de la Sainte-Famille comprenant surtout des jardins, celui du Portal naur où sont signalés des bâtiments, deux petits parcs entourés de murailles, une tinerie (cuves) et le faubourg du Portal de Sainte-Trinité où, seul, un jardin est signalé.
Bien que, nous n'ayons pas assez de données sûres, il semble pourtant que c'est le faubourg du Portal nau qui est le plus construit, alors que les rives de la Fonentrouze sont garnies de jardins.
Plus loin, VILLEROUGE la PANOUSE, fait partie de Fabrezan et forme déjà un petit hameau dont le château n'est signalé qu'à l'occasion d'un confront. (Une pinède est signalée à plusieurs reprises à VILLEROUGE)
Il est probable qu'il était déjà ruiné, tout du moins inhabitable .
Par contre le château de CAUMONT non seulement possède un seigneur, mais celui-ci y habite avec toute sa famille.
Enfin, rien ne permet de déterminer où se trouvaient les mercenaires de la compagnie de GONOUX. Le plus vraisemblable est l'établissement d'un camp dans la plaine, les officiers étant logés chez l'habitant.
Il est remarquable que les Fabrezanais évoluent à travers des lieux-dits dont le nom n'a pas changé depuis quatre siècles.
Nous retrouvons le Pech-forcat, les Vignals, les Pujols, Montredon, Bouza, Torozelle, la Serre, Casambier etc... et à travers ces noms occitans des traditions passées de génération en génération.
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| Vie publique | La place, bien que sa surface nous paraisse modeste est le cœur de Fabrezan. C'est à cet endroit que toute vie publique se concentrait.
Beaucoup de tractations s'y faisaient près d'une grande pierre creusée servant à mesurer les céréales.
C'est là qu'un testateur : fait installer "une charrette de six custiers de blé converti en pain pour être donné et distribué, dans le mois suivant son décès, aux pauvres de Dieu et nécessiteux et non aux autres".
C'est sur la place que Raimond VIDAL, sergent ordinaire de Fabrezan crie et proclame les ventes et arrentements que leurs signataires veulent rendre publics, le dimanche.
Un capitaine ne reculant pas devant la dépense fait même crier et proclamer qu'il a vendu quelques biens trois dimanches de suite.
Avant d'entrer dans le goulet qui précède l'église, c'est sur la place que se réunissent les participants aux cérémonies religieuses, et quelques "botiques" doivent l'entourer. Les enterrements de notables transforment d'ailleurs l'église en cimetière.
Si nous n'avons aucune donnée sur la densité des îlots, malgré le fait que souvent des maisons, même petites, sont partagées en deux ou trois par des donateurs ou des testataires. On est frappé, par le fait qu'il y a à l'intérieur des murs de nombreuses installations agricoles.
Des maisons dont le "debas" est une étable, des pailliers dont l'un est au-dessus d'une étable voisinent avec des patus dont l'un est derrière l'église et l'autre "tenant le clocher".
Bref, village fortifié, Fabrezan abritait entre ses murs une population agricole avec une partie de son bétail, ce qui, soit dit en passant devait donner aux rues un aspect particulier et un parfum spécial.
Cette occupation par des mercenaires espagnols, allemands, italiens ou français devait être, devait visible dans les rues et les faubourgs de la petite cité.
Nous n'avons comme élément de comparaison : Que le chiffre des mille trois-cent arquebusiers de la compagnie de Jehan de Saint-MARSAL installée à la même date au château de MONTSERET.
Il est certain que le nombre de soldats d'une compagnie devait être variable mais, même si la compagnie de M. de GONOUX ne comptait que cinq ou six-cent hommes, ce qui peut représenter un minimum, elle devait doubler la population totale de Fabrezan.
Bien qu'il soit enregistré un acte de pillage, d'ailleurs fait par des soldats venus de LEZIGNAN et dont le montant fut remboursé par les Consuls, il semble que les choses se passent bien, malgré le fait que ces sortes d'activités militaires se transcrivent rarement chez un notaire, fut-il royal.
L'hôpital, dont les bâtiments sont assez importants pour l'époque apporte une activité particulière.
Bien que rien ne l'indique dans les textes, il est probable qu'il servait à l'occasion, de combats sporadiques de cette fin de guerre dite de religion. Il servait surtout aux habitants de Fabrezan.
A l'occasion d'une requête nous apprenons qu'on y a soigné des personnes atteintes "de maladie de contagion" au début de 1592, et que, par prudence on empêchait leurs familles de leur rendre visite en raison de cette "contagion"
Les riches malades faisaient des dons à cet hôpital (y compris au parossier (?) Giradesse) et dans les confronts nous trouvons un champ qui lui appartient.
A ce propos : il est remarquable que malgré un catholicisme fervent très précisément décrit dans les testaments et les actes de mariage, il ne soit pas fait de don en nature à l'église, comme on le faisait deux siècles auparavant.
Il semble que cet hôpital appartenait à la communauté de FABREZAN et non aux co-seigneurs.
Son emplacement à l'entrée du bourg, au bout du grand pont de bois qui traversait l'Orbieu, le rendait accessible sans pratiquement pénétrer dans le village fortifié, ce qui permettait un accueil plus large.
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| Vie privée | Mariages, testaments et donations nous font pénétrer dans la vie privée des Fabrezanais jusque dans le détail.
Cependant, il en ressort quelques caractères généraux.
Tout d'abord la place de la femme dans la famille et dans la société.
Mariée, elle porte sur les actes son nom de jeune fille. Lorsque celui-ci est accompagné de celui de son époux, le notaire fait suivre de la mention: mariés.
Lorsqu'elle est veuve son nom de jeune fille est suivit de : Veuve de feu untel.
Nous ne trouvons jamais par exemple X, née Y. Ceci est peut-être du à l'habitude d'appeler les gens par leur prénom et de se marier le plus souvent entre personnes du même village.
Encore au début de ce siècle, dans nos villages corbiérols, on ne disait jamais Madame X, celle-ci étant toujours rattachée à sa famille d'origine.
Une veuve, se conduit même sur les actes officiels comme un chef de famille qui vend, achète, dispose de ses biens à sa guise, jusqu'à rectifier des partages familiaux, dans la même année où ils ont été établis.
Nous verrons une femme faire de son mari son légataire universel.
La coutume de féminiser les noms propres entre, et nous l'avons déjà signalé, jusque sur les registres du notaire.
A propos de l'achat d'un champ appartenant à André RESPLANDY de Fabrezan, on trouve le nom Catherine RESPLANDETTE, veuve et cohéritière dudit. C'est peut-être un occitanisme, mais c'est le témoignage de la place tenue par la femme dans cette petite société rurale, tant au moins après son mariage.
Le notaire royal Jehan DUFOUR donne des détails beaucoup plus précis que nos notaires modernes et notamment dans les actes de mariage et les testaments.
Minutieux jusqu'au pléonasme (veuve de feu Untel, fils légitime et naturel, etc..)
Il donne des informations souvent étonnantes, parfois pittoresques.
Décrivant ce que nous appellerions le trousseau d'une mariée il énumère sans ponctuation: Robes en drap de Tulle, quatre lansols (draps) bons et suffisants, une couette de Montpellier, un traversin rempli de plumes, une caisse avec sa clef.
Il insiste dans des actes moins précis sur "robes, bagues et joyaux.' Il fait promettre au futur époux "d ' horner sadite future espouze, de robbes bagues et joyaulx nécessaires selon son estat et qualité"
D'autre part le trousseau constitue un douaire, c'est-à-dire un bien assuré à l'épouse en cas de survie.
Nous trouvons même un acte de reconnaissance de douaire pour deux robes, l'une étant de drap, un collier, une caisse, etc.. Pour le beau-frère d'une veuve. Résultat certain d'après discussions..
Bien entendu : la fiancée apporte toujours des biens, terrains et maisons, c'est la raison même du contrat de mariage, et d'autres mariages ont du se célébrer cette année-là sans laisser de traces chez le notaire.
Remarquons qu'il est clair dans ces actes que le contrat précède la cérémonie religieuse qui, elle seule, consacrera l'union.
Certains de ces actes de mariage, dans leur libellé nous semblent très religieux alors que d'autres paraissent plus 'Laïques "
Pour plusieurs : Il s'agit d'actes de mariage "fait et traité en l'honneur de Dieu et de la Sainte-Famille" il est question de "garder et observer la seule puissance de Sainte-Mère l'église" etc. . Et le prêtre signe l'acte.
Le libellé est tout à fait différent et, disons-le, plus moderne pour d'autres, bien qu'il y soit signalé que le mariage se fera à l'église.
Il nous semble : Que cette tolérance religieuse qui s'est manifestée tout au long de l'histoire de l'Occitanie, depuis les Visigoths, ait eu droit de cité jusque sur les registres d'un notaire, à l'époque des guerres dites de religion.
En attendant le sacrement, et puisqu'on est chez le notaire, tant vaut-il mettre sur l'acte toutes les promesses faites par les membres des deux familles.
C'est ainsi qu'à l'occasion du mariage de Pascal et de Claire, tous deux de Fabrezan le frère de celle-ci s'engage à fournir "un festain fait et garni de toutes choses requises". Toutefois ce festin sera "payable à la consommation du mariage. " S'agit-il du lendemain de la nuit de noces ?
Nous donnons cet exemple pour montrer le pittoresque de détails dans lesquels nous n'entrerons pas.
Toutefois nous signalerons une promesse de mariage entre Marie de Fabrezan, et le bailli de Durban.
Il y est stipulé que tous les engagements mobiliers et immobiliers précisés dans l'acte ne seront valables que lorsque le mariage sera "accompli par copulation charnelle"
Constatons que l'âge du bailli n'est pas précisé, et que le même jour et sur le même registre le bailli fait rédiger son testament !
A ce propos remarquons que si aucune date de naissance ou de baptême n'est indiquée sur les actes, l'âge même approximatif n'est pas non plus mentionné.
Sauf dans un seul cas, celui d'un jeune noble qui, ayant atteint sa majorité, quatorze ans, n'a plus besoin de tuteur légal. Dans cette société qui ne s'était pas encore encombré d'un état-civil (et pour deux siècles encore) la jeunesse et l'âge mûr devaient souvent durer plus longtemps qu'à notre époque où la vie est débitée en tranches.
Les trois testaments et le codicille contenus dans le registre sont très différents.
Le premier : celui de Guillaume GUILHIOT, bailli de Durban laissant ses biens après mariage à celle qu'il promet d'épouser, et dans lequel il précise qu'il veut être mis dans le tombeau de ses prédécesseurs (?) Dans l'église paroissiale de Durban, est dicté par les circonstances particulières dont nous venons de parler. C'est pourquoi il autorise un brin d'humour.
Il n'en est pas de même pour le second, Antoine BRUGUIER riche marchand de Fabrezan, est, lui "mallade de son corps atteind de malladie corporelle toutefois sain de son entendement et mémoire bien parlant et voyant"
Il prend des dispositions testamentaires très précises, tâchant de n'oublier personne "Considérant qu'il n' y a chose plus certaine que la mort" Dès le début de cet acte on comprend que l'église n'est pas un cimetière pour tout le monde, et que même un riche marchand n'est pas sûr d'y être enterré.
Effectivement le testataire désire que son corps soit mis en l'église paroissiale de Fabrezan et à la Chapelle Saint-Antoine "s'il plait à 'messieurs les Consuls dudit lieu".
C'est donc une sorte d'autorisation qu'il sollicite.
D'ailleurs pour cela il donne et lègue à la cure de ladite église quatre écus payables dans l'an.
Il organise ses funérailles en demandant : La convocation de sept prêtres au jour de sa sépulture "aussi au jour de sa neuvesme et bout de l'an" et ordonne leur paiement qu'il dicte avec précision au notaire installé devant son écritoire, entouré de huit personnes silencieuses.
Oui, on a l'impression d'être indiscret en lisant ces actes dictés en occitan par un malade alité, dans une maison du bourg donnant sur la place où, en ce mois de février, le cers glacial balaye les puissantes effluves des ruelles.
Appliqué à traduire en français les dispositions d'un marchand habitué à faire ses comptes, le notaire note le tout soigneusement, c'est à se demander si le mot français notaire n'est pas tout simplement le mot occitan notaïré {noteur, celui qui note), alors que les tabellions instrumentent dans le Nord.
Ce sentiment d'indiscrétion nous pousse à ne noter nous-même que ce qui peut paraître différent de nos coutumes actuelles.
Par exemple : Cette charrette de pain, distribuée aux pauvres de Dieu l'an de son décès et au mois de mai, dont nous avons parlé au sujet de la place, et ces quatre livres à payer à I'hôpital après son décès.
Puis il passe aux affaires, dote sa filleule, nomme son fils comme héritier universel, lui donne un solide tuteur (Jean FABRE) et prend des dispositions en cas de décès de son fils sans postérité.
Cet acte est du 14 février. Un mois plus tard, le 17 mars, le dit BRUGUIER est toujours malade mais vivant.
C'est pourquoi il fait enregistrer un codicille indiquant que considérant le dévouement de son épouse pendant sa maladie, dévouement de nuit et de jour il lui donne ''sa maison qui est assise au lieu de Fabrezan, tenant la place'' et un champ.
On ne saura jamais de qui est venue l'idée du codicille..
Le marchand décède le 4 avril 1593. Il sera enterré dans l'église comme il le désirait.
Le15 décembre la veuve du feu Antoine BRINGUIER vend à Anthonin THOMAS pour la somme de cent écus "une maison d'haut et bas (un étage) confront de noble Isaac de GIRONDE et limitée par un arc au bas".
C'est la maison de la place que lui a légué son mari, et cet arc fait penser à de possibles arcades sur la place, tout au moins sur le côté Nord.
Le troisième et dernier testament est celui de Jehane YSAURE, femme de Jehan LAPORTE. Elle aussi est atteinte de "maladie corporelle" et la première partie de son testament est un acte de foi catholique où même le latin ne manque pas (in nomine pater...) "Elle désire que son corps soit mis et despouillé dans l'église paroissiale de Fabrezan" et ne semble pas avoir, pour cela, à demander d'autorisation, bien que le mot noble ou honeste ne précède pas son nom.
En présence de son mari et de cinq autres personnes elle dispose de "ses biens meubles et immeubles présents et ad venir droitz et baux", les lègue à son mari, après avoir doté une filleule d'une somme d'argent et pris pour son frère et son neveu diverses dispositions.
Ainsi une fois de plus, et d'une façon très précise, nous constatons : Que la femme mariée peut avoir ses propres biens et en disposer à sa guise, contrairement à ce que les historiens constatent pour d'autres provinces.
Dans le cas de Jehane YSAURE, nous devons avoir à faire à une personne très prévoyante. Elle était toujours en vie en 1598, et accouchait d'un garçon nommé Jean le 9 août.
En cette fin du XVIe siècle, après plus de vingt ans d'une guerre ni civile puisque ce sont des mercenaires qui se battent, ni religieuse puisqu'il s'agit en réalité de la lutte pour le pouvoir et la succession d'Henri III dès avant son assassinat, il est parlé partout de cette misère des paysans ne consommant ni viande, ni vin, ne mangeant que de la farine de seigle bouillie et à peinte bluttée. Ce qui fit dire à Henri IV qu'il souhaitait que chaque famille puisse le dimanche mettre la poule au pot.
Il semble d'après le registre que ce coin de la Corbière ait été quelque peu épargné.
Bien sûr seuls les gens relativement aisés ont recours au notaire. Mais, dans ce Petit-Bourg, ils semblent assez nombreux pour que l'ensemble profite de leur train de vie, même avec le handicap des réquisitions militaires.
Leur nombre réel doit tenir compte du fait que nous ne disposons que du registre d'un seul notaire, alors qu'il y en avait deux à Fabrezan et un autre à BOUTENAC, pour ne parler que du plus près.
Bien que les indices soient minces, essayons en ce qui concerne la nourriture de relever quelques renseignements.
Pas de viande pour les paysans ?
C'est douteux puisque le trafic de laine indique de nombreux moutons et que les guazailles sont payées en produits du troupeau, laine et agneaux par moitié.
Tel berger a le demi-produit de 87 bêtes à laine. Un autre, avec le demi-produit de 140 devait pouvoir, au moins le dimanche, manger un gigot bouilli.
Comment croire que dans un petit bourg comme FABREZAN seuls les grands seigneurs faisaient la clientèle du boucher installé dans ses murs ?
Un bail à moitié demande la fourniture annuelle de "six chapons et six poules et la moitié du fromage desdites chèvres "
Ce qui peut laisser au preneur quelques bons morceaux, l'élevage de la volaille étant facilité par la production de céréales.
De la bouillie de seigle ?
Dans les transactions, même 'les plus petites, le mot blé est toujours suivi du mot froment, et un détail du testament de ce bon BRINGUIER est caractéristique de la qualité du pain : Nous lisons ''... . une charrette de pain (ce mot est rayé et suivi de..) six custiers bled froment converti en pain pour estre donné et distribué aux pauvres de Dieu.."
Nous savons par ailleurs ce que donnaient les nombreux jardins des faubourgs.
Nous en conclurons : Que si, certes, ce n'était pas l'abondance, ce n'était pas non plus la grande disette. Une charrette de pain suffisait à nourrir, au moins pour un jour, les miséreux de Fabrezan. Naturellement il est inutile de souligner que le "niveau de vie" n'avait rien à voir avec celui des paysans modernes et que l'essentiel ne s'encombrait pas du superflu.
On pensait alors que lorsque la nourriture et le logement sont assurés, les principaux problèmes sont résolus.
Nous avons la chance, à l'occasion, d'une rente demandée, par une veuve à son gendre après le don de la totalité de ses biens, de savoir ce qui était jugé nécessaire pour "survivre et se nourrir"
Chaque année le gendre devra donner: six custiers de blé, deux charges de vin, un migier d'huile d'olive, mesure de FONTCOUVERTE, une robe drap du pays bon et marchand, un escu pour mangaille, une paire de chaussure et une paire de souliers (?) Une chemise, un délantal (tablier) de LIMOUX. Des robes de LIMOUX étant quelquefois signalées, on peut penser que les tisserands de cette ville avaient su acquérir une certaine réputation. Nous relevons par contre la curieuse mention: couate de Montpellier.
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| Espoir | C'est au milieu de l'année, le 21 juillet, qu'Henri de Navarre mettant enfin d'accord les catholiques royaux et la Ligue a définitivement abjuré sa foi protestante à Saint-Denis.
Rien ne s'oppose plus à ce qu'il soit Roi et il sera sacré à Chartres le 27 février 1594.
A Fabrezan déjà les choses ont probablement commencé à changer.
Après le mois de juillet, si nous trouvons toujours des paiements en monnaies étrangères, malgré l'interdiction qui en a été faite depuis 1577 par Charles IX.
Nous ne trouvons aucune mention de militaires dans les achats ou à propos de réquisitions. Est-ce un hasard ou la compagnie de Monsieur de GONOUX a-t-elle rejoint "ses foyers ? "
Regardons-y de plus près.
Le registre commence le 20 octobre 1592.
Or c'est ce jour-là que le chef des ligueurs du Languedoc, Antoine-Scipion de JOYEUSE s'est noyé dans le Tarn, avec une partie de ses troupes, au cours de combats devant VILLEMUR.
Il ne restait plus qu'un seul membre de cette famille pouvant lui succéder, mais il était capucin: Ange de JOYEUSE.
Il est tiré de son couvent par les Ligueurs et ne devait vraiment reprendre le dernier épisode des combats qu'en 1595 et, vaincu, reprendre le froc. Ainsi : Pendant le cours de l'année, quand Jehan DUFOUR mentionne à plusieurs reprises "Monseigneur le Duc de JOYEUSE, pair de France, gouverneur et lieutenant général pour le Roi en Languedoc", il ne s'agit que d'une formule, vide d'ailleurs de roi et de duc.
Les troupes mercenaires coûtaient encore plus cher inactives que lors de combats ou guérillas. Si la compagnie de M. de GONOUX n'a pas été dissoute pendant cette année 1593, elle ne tardera pas à l'être.
On cessera de voir dans et autour de Fabrezan ces ferrailleurs espagnols vêtus de cuir noir et ces lansquenets allemands au curieux pantalon bouffant.
Mêlée au chant des cigales qui est son accompagnement naturel, la lenga nostre chantera la moisson, la cueillette des olives ou les vendanges.
Les théories de petits ânes noirs transporteront sur les chemins les volumineux ballots de laine et les charges d'huile, s'écartant devant ces grandes caisses suspendues entre quatre roues transportant, au trot de quelques chevaux, des seigneurs à fraise tuyautée et toques à plumes.
Dans le registre de 1594 qu'on ne retrouvera sans doute jamais, il y aura des mariages, des baux à moitié, des guazailles, des ventes et des testaments.
Les murs d'enceinte sont toujours là, écrêtés et percés de portes et de fenêtres.
Les fossés sont devenus boulevards ; la Fonentrouse s'est enterrée, un pont de pierre plus en aval a remplacé le vieux pont de bois et la tour et le clocher sont toujours face à face.
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