Les mitounes de Lanet.
II y avait à Lanet, un beau garçon nommé Rupert, orphelin élevé par sa ménine
(grand-mère), pauvre vieille qui
devait raccommoder sans cesse. Rupert triste de la voir user ses yeux sur de vieilles bardes lui dit :
- « Je vais voler le linge des mitounes
» (fées).
Jésus, garde-t-en bien, supplia la ménine. Les mitounes te cracheraient dessus et tu
deviendrais mitoun, Rupert, mon fils.
Rupert se tait, déjeune et s'en va à la
vigne. En chemin, il rencontre son amie Henricou,
dont la sœur Apollonie malade lui plaît et qui le lui
rend. Elle est laveuse de son état, et vaillante comme les mitounes, quand elle
lève son battoir sur les bords de l'Orbieu.
- Comment va ta sœur ?
- Mieux, je crois.
- Dis-moi Henricou,
crois-tu aux mitounes, toi ?
- Tu es fou. D'ailleurs demande-le à
ta ménine.
- Ma ménine
est tant vieille qu'elle perd la mémoire.
- Demande-le aux gens du village. Tout
le monde sait qu'il y a des mitounes à l'Orbieu, tout le monde les a
vues.
Sur ces paroles, ils se séparent, Rupert
va à sa vigne et travaille jusqu'à ce que la lune se lève.
- « Oh ! dit-il alors, voilà la lune,
il est tard. Vite, ma veste, et dépêchons-nous, la ménine
nous grondera, c'est sûr ». Et il se mit à courir en côtoyant l'Orbieu.
- « Tché, tché, voilà le battoir des mitounes. Comme Henricou aurait peur, mais moi je suis courageux. » Et il s'appuya à un
rocher pour mieux écouter les sons rebondissant sur l'eau :
- « Parbleu, j'étouffe de frayeur,
mais si je suis encore vivant demain, je peux me vanter d'avoir vu les mitounes
en
face, et puisque je l'ai dit, je vais leur voler une brassée de linge pour
devenir riche.
Il s'approcha de l'eau et de la
mitoune la plus proche. La mitoune était belle avec ses bras nus et sa gorge de
sirène. Une sorte de vêtement diaphane coulait sur sa taille, et retombait,
s'entrouvrant.
Rupert prend une brassée de linge et
s'enfuit à toutes jambes, poursuivi par la mitoune riant, les bras tendus vers
lui, ses beaux cheveux blonds flottant :
- « Arrête-toi donc joli voleur, là ! là ! là ! le
joli mitoun que nous aurons là ».
Lui continue à fuir, jetant le linge
qui lui pèse de plus en plus, mais la mitoune est sur ses talons, déjà il
sent son souffle sur ses épaules, et ses bras prêts à l'enlacer ; il saute à travers la
haie de buis, mais un obstacle l'arrête, s'en est fait de lui.
Il se relève vite, se retourne vers la mitoune qui pousse une
plainte et rebrousse chemin, terrifiée. Rupert avait heurté le socle d'une
croix planté au bord du gouffre.
Il rentra chez lui, avec sur son épaule
une paire de bas déchirés,
reliquat du linge dérobé à la mitoune, et une paire intacte.
A son mariage avec Apollonie,
la sœur d'Henricou qui avait le languiment
pour lui, sa ménine fit cadeau de la jolie paire de bas
au marquis de Lanet qui l'expédia à la marquise à Paris. Mais malgré son petit
pied, celle-ci ne put la mettre. »